CARNETS DE ROUTE ETHNOGRAPHIQUES 27 : RURALITÉS URBAINES ET URBANITÉS RURALES OU LA DÉCONSTRUCTION DE L'OBJECTIVATION ET DU CONSTRUCTIVISME ABDOU NDUKUR KACC NDAO Socio-anthropologue...

https://www.facebook.com/abdou.ndao.18/posts/10203845719814525?comment_id=10203871888508726&offset=0&total_comments=23

CARNETS DE ROUTE ETHNOGRAPHIQUES 27 : RURALITÉS URBAINES ET URBANITÉS RURALES OU LA DÉCONSTRUCTION DE L'OBJECTIVATION ET DU CONSTRUCTIVISME

ABDOU NDUKUR KACC NDAO 
Socio-anthropologue

Communautés rurales de Patar et de Mbéllacadiao. 4 Juin 2014 : 18:00. Ce matin, vers 9h30, en compagnie de mon collègue B. ND., ingénieur hydraulicien, nous prenâmes le chemin de Niakhar. Contournant le marché encombré et encombrant de la Commune de Fatick, nous bifurquâmes sur la plus belle corniche du Sine qui fait partie du tronçon de la Grande muraille verte chère à Njombor. Elle est devenue, avec ses routes amicales et les lampions imposants, une véritable décharge publique sauvage. Mame Mbindiss, le totem du Sine, doit se demander pourquoi diable nous avons un problème avec le recyclage des ordures ménagères.

Je fus frappé par la qualité appréciée des routes entre Fatick et Niakhar...et au-delà. Un point positif comparé aux routes chaotiques de Fatick-Kaolack ou à celles du Sud.

Fatick la rurale est en chantier. Partout ou presque, poussent des battisses imposantes même si certaines datent de 2005, sous Njombor. Il faudra sans doute, (re)mettre de l'ordre dans ces programmes de reconstruction, souvent peu prioritaires et aux transparences douteuses. Qu'a cela ne tienne, la ville de Fatcik a changé de visage : elle a un Centre Hospitalier Régional qui a battu tous les records de réception définitive. La structure hospitalière ressemble plutôt à un centre de santé tant son ouverture fut précipitée pour satisfaire des imaginaires déçus.

La région présidentielle s'est dotée d'une Mairie aux allures du siège du KGB à Moscou. Une belle avenue borde les battisses des nouveaux riches qui se sont empressés de construire dans le pré-carré présidentiel, pour mieux fonder leur ancrage identitaire. Fatick, la rurale, s'urbanise..Tant mieux !!!

Nous nous engouffrons vers la Communauté rurale de Patar qui se révèle à nous progressivement, sous le regard bienveillant et attendrissant des baobabs centenaires du Sine. Retour vers la route principale, une heure 30 plus tard, pour poursuivre vers la Communauté rurale de Mbéllacadiao. Si les prévisions des Xoy se confirment, d'ici deux semaines, les pluies rendront difficiles voire inaccessibles une bonne partie de ces villages. En attendant, la nature a défié un des Saltigué qui avait pronostiqué le début de l'hivernage le 3 Juin 2014. Tonton Ada et Sil Muñël, les deux humoristes sénégalais aurait dit "Ay kacc neen" (que des mensonges). Ce Kacc est bien sur différent de mon nom!!!

En visitant simultanément Patar Sine, Ndiakhar, Mbéllacadiao, je fus interpellé sur la pertinence des approches sociologiques explicatives des ruralités...voire des urbanités. J'avais le sentiment que nos villages ont énormément changé. Ils sont en pleines mutations. J'ai eu le sentiment caricatural qu'ils sont des véhicules aux respirations rurales et aux moteurs urbains. Il est vrai que ce poste ne vise pas à préciser les contenus théoriques entre les urbanités et les ruralités, les ruralités urbaines ou les urbanités rurales. Ouf !!! mon Pr. Issiaka Prosper Lalêyé, épistémologue et philosophe, serait fier de mes grivoiseries conceptuelles!!! N'est ce pas Lamine Sambe ?

Il est vrai que la sociologie notamment - en tenant compte des expériences d'ici ou d'ailleurs - s'est toujours évertuée à déconstruire les logiques statistiques voire démographiques des complexités urbaines et rurales. Elle a toujours interrogé ces complexités sous le prisme des représentations, des différenciations internes, des reconfigurations socio-spatiales et de leurs constructions sociales. Il est clair aujourd'hui que les évolutions des sciences sociales et des sciences statistiques sur les approches rur_baines tendent vers un modus vivendi : il faut dépasser les modèles entre l'objectivation et le constructivisme et envisager ces deux schémas explicatifs dans leur rapport dialectique.

Ce modèle, je l'ai découvert ou redécouvert durant mes pérégrinations de ce matin. Au cœur des villages de Patar Sine, de Mbellacadio, pilulent des marchés aux architectures modernes. Les chinois ont fini de les conquérir avec portables, batteries, recharges, écouteurs. L'esthétique des montures de présentation cache mal ces chinoiseries qu'il faut envisager de jeter à la poubelle avant la tombée des premières pluies. Qu'a cela ne tienne, c'est un puissant instrument pour adoucir les réticences tactiques des filles. L'électricité y est présente. Nous sommes loin du Sud du pays à Sinthiang Koundara ou Kandia ou Némataba ou Manda Douane, dans le Vélingara.

Des paraboles de télévision et des antennes TV5 sont perchées comme des corbeaux dans les cimes des toits des concessions. Le capitalisme a de nouveaux adeptes ruraux. Ceux et celles qui souhaitent transférer de l'argent peuvent faire un tour chez le WARI ou le Joni Joni. Des châteaux d'eau imposants distribuent l'eau courante. Les antennes des téléphonies mobiles surplombent comme pour défier le ciel, les têtes de ces ruraux de type nouveau. Abdou Ndukur Kacc Ndao s'est même, le temps d'une prise de vue, permis d'appeler sur Viber une amie au pays de l'Oncle Sam. S’interrogeant sur la réalité de ma géolocalisation, elle fut surprise d'observer que l'appel venait du Sine profond. D'une voix suave et amicale, elle me parla et écouta les miennes toujours empreintes de "doseries" avec les R roulés...On dirait qu'il ne vient pas du Saloum. Le baby foot est là aussi. Comme a Sandiniéri ou dans les plateaux dans les années 80, je me suis rappelé de ce jeu qui monopolisait un temps précieux de mes activités récréatives.

Que reste t'il de ce décor aux allures de Chicago ou Amsterdam ou Paris, ou Pretoria ? Rien. J'allais quand même oublier le point le plus important chez les Sérères : le pain. Mieux, à Patar Sine, il existe une boulangerie moderne qui fait ...des croissants. Et oui !!! Un décor sérère sans pain est un crime de lèse-majesté.Il faut les voir dans les bus, les Ndiaga-Diop, les charrettes ou vélos acheminer le pain vers leurs villages respectifs, comme on achemine une nouvelle mariée consentante vers sa demeure nuptiale.

Nous oublions souvent que nos ruralités sont en perpétuelles évolutions. Certes, les problèmes structurels, du fait d'un leadership politique corrompu, nous a placé dans l'indifférence, le scepticisme et la pauvreté. Il reste que, partout en Afrique, nos zones rurales sont dans le renouveau et l'innovation. Très en avance sur les discours et les caricatures des experts aux longues bouches.

Nous avons tendance à fixer les dynamiques rurales qui sont en perpétuel mouvement, et qui, reconfigurent de nouveaux enjeux, de nouvelles opportunités.

Lorsque notre leadership politique aura fini de le comprendre et d'être conséquent avec ces mutations, nous gagnerons un peu décisif en avant.

Abdou Ndukur Kacc Ndao